Bonhomme. Un titre mais deux chansons et deux auteurs-compositeurs-interprètes : Gustave Nadaud et Georges Brassens.
Brassens, lecteur assidu et gourmand de Gustave Nadaud ne pouvait ignorer la chanson Bonhomme. Le titre de la joyeuse chanson du XIXe siècle est le même que celui de la sombre chanson que Brassens a enregistré en 1958, mais qu'il chantait déjà à Basdorf en 1943. Le refrain original proclame : « C’est bonhomme qu'on me nomme / Ma santé c'est mon trésor / Et Bonhomme vit encore. » En cinq couplets, ce bonhomme expose ses secrets de longévité et de bonheur. Doit-on imaginer que Brassens s’est livré à une sorte d'exercice oulipien en prenant le contre-pied du texte de Nadaud avec sa propre chanson dont chaque couplet finit par une variante de « Bonhomme va mourir / De mort naturelle » ?
Bertrand Dicale - Brassens ? Editions Flammarion
Ecoutons d'abord la chanson de Gustave Nadaud. N'ayant trouvé aucune interprétation de cette chanson sur internet, j'ose vous proposer ma version.
Bonhomme - Gustave Nadaud
Vous ne savez pas mon âge ?
J’ai bientôt quatre-vingts ans :
Après un si long voyage,
On a connu bien des gens.
Mais je suis bon camarade,
Et toujours jeune d’humeur ;
Je ne suis jamais malade ;
J’ai bonne jambe et bon cœur.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma santé, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme vit encor.
Il pleut ? J’ai mon parapluie !
Il fait froid ? J’ai mon manteau!
Si par hasard je m’ennuie,
Je m’en vais voir couler l’eau.
La nature tutélaire
Veille sur les passereaux ;
Je laisse tourner la terre ;
Je ne lis pas les journaux.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté, c’est mon trésor,
Et Bonhomme rit encor.
J’avais assez de richesse ;
Mais je fus trop obligeant,
Ce qui fait qu’en ma vieillesse
Je n’ai pas beaucoup d’argent.
À quoi pourrais-je prétendre ?
Les petits vivent de peu ;
J’ai du vin et du pain tendre,
Et le soleil du bon Dieu.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma santé, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme vit encor.
De tous côtés j’entends dire :
« Que ces jeunes gens sont fous ! »
Je ne fus meilleur ni pire
Que la plupart d’entre vous.
Eh quoi ! pour des peccadilles
Gronder ces pauvres amours !
Les femmes sont si gentilles !…
Et l’on n’aime pas toujours.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme rit encor.
Rien ne peut plus me surprendre :
Là-bas j’irai sans regret ;
Et, quand il faudra m’y rendre,
J’aurai mon paquet tout prêt.
J’ai fait quelque bien sur terre ;
Bientôt je n’en ferai plus ;
Quand je serai sous la pierre,
Je veux qu’on mette dessus :
"C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté fut mon trésor…"
Mais Bonhomme vit encor !
Et maintenant, Bonhomme de Georges Brassens. Voilà ce qu'il disait de cette chanson.
"Celle-là, elle est très vieille, je crois que je l'ai faite en Allemagne. C'est pas triste du tout, au contraire. C'est pas triste, cet homme qui va mourir de mort naturelle, d'ailleurs. Et puis, cette femme qui passe sur tout pour aller lui chercher du bois, C'est pas triste, au contraire. Je trouve que c'est une chanson d'amour et de joie, moi. C'est triste si on la regarde comme ça en surface, mais c'est pas triste de voir une femme qui a été trompée par un homme et qui, au moment où il va mourir, va lui chercher du bois pour le chauffer. Au contraire, c'est réconfortant, c'est une chanson d'espoir."
La pauvre vieille de somme
Va ramasser du bois mort
Pour chauffer Bonhomme
Bonhomme qui va mourir
De mort naturelle
À travers la forêt blême
Où jadis elle rêva
De celui qu'elle aime
Qu'elle aime et qui va mourir
De mort naturelle
De la vieille qui moissonne
Le bois mort de ses doigts gourds
Ni rien ni personne
Car Bonhomme va mourir
De mort naturelle
Ni cette voix de malheur
Qui dit "quand tu rentreras
Chez toi, tout à l'heure
Bonhomme sera déjà mort
De mort naturelle"
Montant du plus profond d'elle
Lui rappeler que, parfois
Il fut infidèle
Car Bonhomme, il va mourir
De mort naturelle